Love Boat

C’est un arrêt de la Cour de Cassation qui a fait grand bruit, au début du mois d’octobre… Dans les médias généralistes, on pouvait lire (en substance) ceci : un employeur peut aller chercher, sur votre compte Facebook, un motif de licenciement ! Quelle affreuse ordure cet employeur, quand même ! Mais où s’arrêtera-t-il ?! Qu’en est-il de la vie privée ?! Que fait la police ?!

À moins que ce ne soit les journalistes qui aient fait un GROS raccourci, afin que les lecteurs, interloqués, ne se précipitent sur leur article et soient, à leur tour, scandalisés et partagent en masse cette nouvelle totalement scandaleuse, sur les réseaux sociaux…

Tout d’abord, voici un rapide rappel des faits : nous sommes en 2014 et une cheffe de projet, qui travaille chez Petit Bateau, publie une photo de produits de la prochaine collection, sur son compte Facebook. Son mur est « privé », c’est-à-dire qu’il n’y a que les personnes qu’elle a acceptées comme « amies » qui peuvent voir ses publications. Enfin, les produits qui sont sur la photo n’ont été dévoilés qu’en interne et ne devaient pas apparaître en externe. Une « amie » (collègue de la cheffe de projet) a vu la publication et l’a remontée à sa direction. La cheffe de projet a été licenciée pour faute grave.

Premier point : à aucun moment l’employeur n’a activement surveillé sa salariée sur les réseaux sociaux ! Petit Bateau s’est appuyé sur une preuve communiquée par quelqu’un qui avait accès à l’information.

Second point : en diffusant une photo des futurs produits de la marque de prêt-à-porter, la cheffe de projet a dérogé à sa clause de confidentialité contractuelle. On ne parle pas, ici, d’une photo d’un pot de départ, ou d’un cliché pris en réunion avec la participation des collègues. On parle de vêtements qui seront commercialisés à l’avenir et qui ne doivent pas fuiter. Détail croustillant, s’il en fallait un : il y avait des personnes travaillant dans des entreprises concurrentes, parmi les « amis » de la cheffe de projet (Jean-Michel n’aurait pas fait mieux).

Oui, mais quid de la vie privée ? Si les médias généralistes en parlent tellement, c’est qu’il doit bien y avoir quelque chose de choquant ! En réalité, l’arrêt de la Cour de Cassation met en exergue le droit à la preuve. La conclusion est plutôt claire : « […] le droit à la preuve peut justifier la production en justice d’éléments extraits du compte privé Facebook d’un salarié portant atteinte à sa vie privée, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi. »

L’employeur n’a usé d’aucun stratagème pour obtenir la preuve, puisqu’elle lui a été rapportée par une « amie » de la cheffe de projet. Cette dernière, quant à elle, a manqué à son obligation contractuelle de confidentialité. L’employeur ne pouvait pas faire autrement pour prouver la faute de sa salariée et a donc produit la publication Facebook. La condition est donc respectée et reste, tout de même, très cadrée.

Donc non… l’employeur ne va pas scruter les comptes de ses salariés à la recherche désespérée d’un motif pour les licencier (pas besoin d’aller aussi loin, voyons). Le droit à la vie privée est toujours solidement ancré dans les textes législatifs, il n’y a pas à paniquer.

En revanche, c’est en lisant des raccourcis maladroits visant à générer du clic que l’on arrive à créer une image dégueulasse de la Fonction RH qui devrait prochainement créer des sentinelles des réseaux sociaux pour pouvoir virer plus facilement ses employés (on exagère à peine la pensée de certains lecteurs, à la suite des articles sur le sujet).

Régis est un con, et aujourd’hui Régis est journaliste. Si vous voulez partager un article plutôt bien fait (mais forcément un peu plus chiant), n’hésitez pas à lire celui du Village de la Justice.

 

L’actweet RH

48 minutes de plus par jour ?!

D’après des chercheurs de la Harvard Business School et de la New York University, nous travaillerions plus en télétravail ! Rien de nouveau sous le soleil, mais ils ont évalué ce temps en plus à 48,5 minutes par jour, en moyenne, soit plus de quatre heures par semaine. #ÉtudeBof

Un marché du travail tendu comme jaja !

En 2019, les tensions sur le marché du travail augmentent pour la quatrième année consécutive, atteignant leur plus haut niveau depuis 2011. Cette progression est associée à des besoins croissants de recrutement dans un contexte où la main-d’oeuvre disponible diminue. #String

Difficile de sortir du placard

Faire son coming out en entreprise reste une « épreuve » difficile, notamment pour les jeunes qui arrivent sur le marché du travail. Entre la peur du regard des collègues et les craintes pour sa carrière, les obstacles sont nombreux, malgré le travail de rôles modèles. #Pride

 

RH 3000 : le pripro

Bonjour, je m’appelle Antoine LAFOND et je reviens du futur, avec de bonnes nouvelles ! Cette semaine, je vous annonce que la vie privée n’existe plus. De prime abord, cela peut paraître triste et malheureux, mais la société s’est adaptée positivement à cette transformation radicale. D’autant plus que l’on commençait à s’en douter, dès le début des années 2000 et l’émergence des réseaux sociaux.

Certains consultants ont très vite appelé le mélange de la vie privée et de la vie professionnelle, le « pripro » (parce que c’est un nouveau terme vachement vendeur). Plus globalement, on peut aussi parler de « pripub », puisque tout ce que l’on écrit sur la toile, et notamment sur les réseaux sociaux, est désormais public.

Certes, le professionnel s’est immiscé dans le privé (cela ne date pas d’hier), mais le privé s’est également introduit dans le professionnel… Finalement, cette fusion des « deux vies » est assez logique, quand on prend un peu de hauteur.

Mais encore faut-il l’encadrer ! Consciente des évolutions technologiques, Dame Loi a adapté ses textes, afin d’éviter les dérives. Le « pripro » a notamment permis à la liberté d’expression de reprendre du poil de la bête et de protéger les auteurs, tant qu’il n’y a pas diffamation ou atteinte au respect d’autrui, ou d’une entreprise.

Mais cela a également permis de punir les personnes qui ne respectaient pas ces règles fondamentales (et je vous rappelle que dans le futur, le racisme, le sexisme, l’homophobie et toute forme de discrimination ou de haine de l’autre sont sévèrement sanctionnés).

Il est donc possible d’exprimer son opinion sur un sujet, ou sur son entreprise, sans se cacher derrière un pseudonyme et d’avoir peur d’une sanction. Certes, la prise de parole s’accompagne de règles, mais il en est de même, de manière implicite, en public. Bien évidemment, ces règles ne s’appliquent que sur internet. En l’an 3000, vous pouvez discuter librement à l’oral (l’enregistrement audio par le biais de votre téléphone n’est plus autorisé).

Autre point positif au « pripro » : tout est désormais très clair ! On ne se pose plus la question d’un éventuel « espionnage » d’un tel, ou d’un tel, puisque la règle est désormais la même pour tout le monde et qu’elle est explicite. Ce que vous écrivez peut être lu par tout le monde, et notamment votre employeur.

Mais je vous rassure, les entreprises n’investissent pas massivement dans la surveillance de leurs collaboratrices et collaborateurs sur les réseaux sociaux. Il suffit d’un logiciel qui détecte les mentions de votre entreprise sur la toile et qui vous avertisse quand quelque chose de négatif est potentiellement en train de se répandre (mais cela existait déjà au début du troisième millénaire).

Cette perspective peut faire peur, car on est forcément attaché à sa vie privée. Elle existe toujours, bien évidemment, mais elle est désormais bien plus exposée. Mais encore une fois, cela ne date pas de l’an 3000.

Ce futur est incroyable (même pour les plus discrets) et vous ne pourrez pas dire que vous n’étiez pas au courant.

Rendez-vous la semaine prochaine, pour une future bonne nouvelle… ou une bonne nouvelle du futur !

Info Cognito  : des frontières digitales

Que vous soyez né avant ou après internet, vous savez que l’historique de votre navigateur en sait plus sur vous que votre mère, votre conjoint et votre meilleur ami. Depuis l’apparition des réseaux sociaux, c’est encore pire : nos « amis » sont autant de big brothers qui observent nos comportements (qui a liké quoi) et en déduisent qui vous êtes. Vous savez aussi que le cas de Facebook est particulier : a contrario de LinkedIn, qui concerne exclusivement la vie professionnelle, Facebook est sans limites. On peut être « ami » avec des collègues qu’on ne connait qu’à peine, avec ses copains d’enfance, avec ses beaux-parents ou avec son patron. Vous savez donc que la gestion d’une audience aussi hétérogène est un exercice risqué. C’est pourquoi vous avez pris la peine de lire les conditions d’utilisation et que vous utilisez les fonctionnalités qui permettent de gérer qui lit quoi. Bref, vous savez gérer des frontières dans votre vie digitale. Et vous pensez que tout le monde en fait autant. C’est normal, c’est dans votre tête.

Qian Liu et ses collègues de la City University de Hong Kong ont voulu mieux comprendre comment les utilisateurs de Facebook partageaient leurs informations. Ils ont identifié deux stratégies de gestion des frontières de confidentialité (Privacy Management Strategies). La première est statique : les individus utilisent les paramètres de confidentialité prédéfinis par le site et ne les changent jamais. La seconde est dynamique : les individus gèrent la confidentialité de chaque publication spécifiquement. Évidemment, cette seconde stratégie est plus chronophage. Elle demande aussi d’être plus conscient des risques et de mieux maitriser le fonctionnement de Facebook. Qui utilise quelle stratégie ? Pourquoi ? Plus les internautes utilisent Facebook pour communiquer et partager des nouvelles, plus ils utilisent la stratégie statique. Ils publient beaucoup, ne créent pas de frontières parmi leurs « amis » et les associent dans un groupe de lecteurs indifférencié. C’est évidement dangereux : ceux qui publient le plus sans contrôler qui lit quoi sont ceux qui prennent le plus de risques. 

Ce comportement provient d’abord d’une maitrise limitée des fonctionnalités de Facebook et d’une faible conscience des risques. Mais il repose aussi sur le sentiment fort (et erroné) que les paramètres standard de Facebook apportent toute la sécurité nécessaire. Les sentiments de partage, d’altruisme et se réassurance qu’ils reçoivent de leurs « amis » s’étendent à l’application elle-même. Facebook est aussi leur ami. Pas sûr qu’il leur veuille toujours du bien…

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